Le marquis de La Fayette, ce héros que l’on voudrait ignorer…par Christian Dutot
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Le marquis de La Fayette, ce héros que l’on voudrait ignorer…par Christian Dutot

par | Histoire contemporaine, Temps modernes, XIXème siècle

Servir la liberté ! Tel aura été le fil conducteur de sa vie. La liberté, La Fayette l’aura longtemps servie les armes à la main durant la guerre d’indépendance américaine puis pendant la Révolution française. Sa fidélité à ses idéaux, il la paie au prix fort au fond de prisons sordides ou de mises à l’écart décidées par le pouvoir. Son combat politique, il le mène avec une constance qui force l’admiration, traversant les régimes politiques successifs que connaît la France d’un XVIIIe siècle finissant et d’un XIXe siècle naissant. Sa liberté, il la théorise afin de la rendre concrète et la mettre au service des hommes alors que d’autres se contentent de la rêver éternellement. Sa liberté passe par la modération en politique, la défense d’une constitution et l’attachement à des idées libérales. De quoi lui valoir, en somme, bien des attaques et des inimitiés jusqu’à nos jours.

La Fayette reste encore aujourd’hui une figure controversée et un personnage relativement méconnu du grand public. Des détracteurs, il en eut plus qu’il n’en faut, tant chez ses ennemis politiques que chez les historiens. En France, de temps à autres, quelques travaux biographiques lui sont consacrés.  Inversement, -nul n’est prophète en son pays-, les Américains l’admirent et voient en lui le symbole de l’amitié franco-américaine. Sait-on seulement que tous les ans, le 4 juillet, à l’occasion de la fête nationale, l’ambassadeur des Etats-Unis vient se recueillir sur la tombe du marquis de La Fayette, héros de la guerre d’indépendance américaine ? Sait-on encore qu’en 2002, Georges W. Bush, privilège rare, l’a élevé, à titre posthume, au rang de citoyen d’honneur des Etats-Unis ? En France, où tout est politique, rien de tel. Il est vrai que son admiration pour les institutions américaines, son libéralisme et ses prises de position monarchistes pendant la Révolution française empêchent son entrée au Panthéon. Aux grands hommes, la patrie n’est pas toujours reconnaissante… Le projet, un temps évoqué en 2007, est vite retombé aux oubliettes. Loin des polémiques, l’historien serait pourtant bien inspiré d’évoquer le destin exceptionnel du marquis de La Fayette.

Des rêves de gloire et d’Amérique (1757-1777)

Il eut d’abord pour mérite d’entraîner dans son sillage ceux qui, peut-être, sans lui, se seraient contentés de suivre l’histoire américaine de loin, incapables de traduire un rêve en engagement. Il n’avait pas encore vingt ans, le 7 juin 1777, lorsqu’il prit pied sur les rivages du Nouveau-Monde. Ses racines étaient pourtant bien éloignées de l’Amérique. Originaire d’Auvergne, Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, vint au monde le 6 septembre 1757. Très vite, il se retrouva seul. Son père mourut les armes à la main en 1759 durant la guerre de Sept Ans, tandis que sa mère disparut alors qu’il n’avait pas treize ans (1770). A son tour son grand-père quitta ce monde, non sans lui avoir laissé une fortune considérable. Pour le jeune homme, ce sera donc l’armée au sein des mousquetaires du roi (1771), et, bientôt, un mariage avantageux avec Adrienne de Noailles (1774). La vie de cour, à Versailles, ennuie profondément La Fayette qui brûle de se distinguer par les armes. Pour calmer ses impatiences, l’impétueux marquis s’encanaille dans les auberges avec des gens bien nés, comme lui. En plus de fréquenter des femmes de petites vertus, cette jeunesse dorée discute politique et manie les idées subversives du moment. Bref, la vie de cour lui déplait et il s’y montre maladroit. Moment décisif, le voilà affecté à Metz où il retrouve son beau-frère, le vicomte de Noailles (1775). L’occasion est belle pour le jeune marquis de se rapprocher du comte de Broglie qui commande les forces militaires de la région et qui nourrit des rêves d’Amérique.

Soucieux de ne pas heurter l’Angleterre de front en soutenant les colons américains révoltés contre la couronne britannique, Louis XVI n’en laissa pas moins des dizaines d’officiers français aller prêter main forte, outre Atlantique, aux insurgés. Voilà qui ne pouvait laisser indifférent le bouillant marquis. Les circonstances firent le reste. Retiré du service, -la paix règne en France-, La Fayette est libre de donner une tournure plus concrète à son rêve américain. En décembre 1776, il rallie un groupe de jeunes officiers désireux de servir au Nouveau Monde et paraphe son engagement. On imagine facilement à quel point la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776 a dû exciter son impatience de partir pour les anciennes colonies anglaises. Tout à ses projets, quitte à devoir les financer de ses propres deniers, La Fayette fait acheter à Bordeaux un navire, le Clary, bientôt rebaptisé La Victoire. Aussitôt, on l’équipe en armes, munitions et provisions. Découvrant les projets en cours, la famille du marquis s’alarme et La Fayette craint de voir Louis XVI s’opposer à son entreprise. Finalement, ayant rejoint son navire, qui, entre-temps, a gagné un port espagnol, il cingle vers le Nouveau Monde toutes voiles dehors (26 avril 1777).

Combattant du Nouveau Monde (1777-1785)

La traversée s’achève le 13 juin 1777 dans un petit port de Caroline du Sud, non loin de Georgetown. De là, le marquis gagne Charleston puis Philadelphie. La froideur de l’accueil qui lui est ménagé en Pennsylvanie fait vite oublier la chaleur des premières réceptions. Il est vrai que les officiers français qui l’ont précédé n’ont pas toujours su faire bonne impression à leurs hôtes ! Très vite pourtant, l’enthousiasme et le désintérêt dont fait preuve La Fayette séduisent et une belle amitié naît entre le Français et Georges Washington. Elle ne se démentira plus. Aussitôt engagé dans les combats et blessé à la jambe, en septembre, c’est un repos forcé qu’il lui faut prendre le temps de se remettre. Dans les mois qui suivent, sa patience est à nouveau mise à l’épreuve par les engagements modestes auxquels il prend part, des palabres avec l’ennemi et des hivers qu’il trouve interminables. Sa ténacité finit par payer. Enfin Washington lui confie un commandement digne de lui. A la tête de l’armée du Nord, il embrasse avec exaltation ce nouveau destin que la fortune lui ménage.

Le 10 juillet 1778, Louis XVI déclare la guerre à l’Angleterre. Le conflit s’internationalise. Dès lors, l’envie de rentrer en France le taraude. Le 11 janvier 1779, il embarque à bord de l’Alliance qui le conduit à Brest, le 6 février. L’accueil est chaleureux. C’est à qui, intellectuel, dame de la cour, noble ou roturier, viendra s’entretenir du Nouveau Monde avec le héros des Amériques. Mais le souvenir du temps passé outre-Atlantique n’est jamais loin : en décembre, sa femme lui donne un fils qu’il prénomme Georges-Washington ! Son destin n’est pourtant pas de demeurer en France pour servir le drapeau. Le 28 avril 1779, l’Hermione, frégate royale, est mise à l’eau. Le 9 mars 1780, le marquis est à son bord et s’en retourne en Amérique accompagné de jeunes aristocrates français. Le 27 avril, ils reçoivent un accueil triomphal lorsqu’ils accostent non loin de Boston. Rejoignant très vite Georges Washington, La Fayette le prévient de l’arrivée prochaine de troupes françaises. Sa mission accomplie, pourvu d’un nouveau commandement, il découvre un conflit qui s’enlise et se démultiplie en coups de main successifs. Les moyens manquent pour les entreprises d’envergure et la lassitude des troupes débouche ici où là sur quelques mutineries.
Le sort des armes sourit pourtant bientôt aux Américains et les Français n’y sont pas étrangers. En septembre 1781, la flotte française empêche les renforts anglais de parvenir à Yorktown. Isolées, assiégées, les troupes anglaises se rendent le 19 octobre. Dès lors, la messe est dite et des pourparlers de paix peuvent être engagés. Il faut néanmoins deux ans pour les faire aboutir ! Le 3 septembre 1783, les traités signés à Paris et à Versailles permettent à la France de prendre sa revanche sur l’Angleterre vingt ans après la perte du Canada, de la Louisiane et de bien d’autres colonies. Un bonheur de courte durée. L’aide aux insurgés américains achève de mettre à mal les finances de la France. Bientôt, Louis XVI convoque les états-généraux pour tenter de résorber le déficit budgétaire (1788). Quelques mois plus tard, commence la Révolution française (1789). On connaît la suite…

Pour La Fayette, la victoire de Yorktown donne le signal du retour en France (décembre 1783). Après un séjour bref, mais actif, dans son Auvergne natale, où il s’emploie à soulager les maux des plus pauvres, le marquis regagne bien vite Paris dans l’espoir d’y jouer un rôle politique à sa mesure. En juin 1784, La Fayette accepte l’invitation de Georges Washington et s’embarque à nouveau pour les Etats-Unis à Lorient. Où qu’il aille désormais en Amérique, un accueil triomphal lui est ménagé. En août, il séjourne deux semaines à Mount Vernon, la résidence de son ami qu’il considère comme son père adoptif. Plus tard, il confessera que ces journées comptèrent parmi les plus belles de sa vie. Les hommages pleuvent. En décembre, le Congrès américain lui rend un vibrant hommage. Le 21, il s’embarque à bord de La Nymphe, une frégate française qui l’amène à Brest le 20 janvier 1785. De retour sur le Vieux Continent, La Fayette se singularise par ses prises de position. Il réclame des libertés pour les protestants et les juifs, plaide pour l’égalité fiscale et suggère au roi de convoquer une assemblée nationale. En outre, on le voit militer activement pour l’abolition de l’esclavage au sein de la Société des amis des Noirs et pour les idées libérales dans la Société des Trente ou au Club du Palais-Royal.

Ascension, fastes et malheurs d’un marquis en politique (1785-1792)

La tenue prochaine des états-généraux, que Louis XVI a convoqués le 8 août 1788 pour régler la crise financière, ouvre au marquis de nouveaux horizons politiques. En mars 1789, La Fayette est élu député de la noblesse de Riom (Auvergne). Son ascension politique ne fait que commencer. Le 13 juillet, il devient vice-président de la toute jeune Assemblée nationale, devenue Constituante quelques jours plus tôt. Le 16 juillet, alors que les Parisiens se sont emparés de la Bastille deux jours plus tôt, il est intronisé général en chef de la garde nationale. Epris de liberté, il participe activement à la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et prend une part active à l’élaboration de la constitution. Le 6 octobre, à la tête de ses troupes, il escorte la famille royale, contrainte de quitter Versailles sous la pression d’une foule d’émeutiers, jusqu’au château des Tuileries. Quand il prononce son serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, le 14 juillet 1790, à l’occasion de la fête de la Fédération, La Fayette est au sommet de sa popularité.

L’idylle avec le peuple ne dure pas. Confronté au cours de la Révolution, La Fayette voit son crédit politique réduit à néant. Fin août, l’Assemblée nationale charge son cousin, le marquis de Bouillé, de se rendre à Nancy pour y mâter des soldats mécontents de ne plus percevoir leur solde. Partie prenante du vote des députés, La Fayette cautionne aussi la sanglante répression que Bouillé mène sur place. A Paris, on dénonce ces violences dans la rue. Le fossé entre le marquis et l’opinion publique se creuse encore davantage à l’occasion de la tentative de fuite du roi à l’étranger (20 juin 1791). L’affaire se termine piteusement par l’arrestation de la famille royale à Varennes et son retour à Paris sous bonne escorte. L’incident apporte de l’eau au moulin des républicains et fragilise ceux qui, comme La Fayette, restent fidèles à la monarchie constitutionnelle. Politiquement, la ligne de fracture traverse le club des Jacobins que La Fayette quitte bientôt pour rejoindre le club des Feuillants, nouvellement fondé par des modérés. Son rôle dans la fusillade du Champ-de-Mars, le 17 juillet 1791, achève de le discréditer. Alors que des Parisiens se sont assemblés pour signer une pétition et réclament la déchéance du roi, la garde nationale se charge de disperser les manifestants. Craignant d’être débordé, le marquis consent à donner l’ordre de tirer sur la foule. Des coups de feu partent tandis que La Fayette renonce à employer le canon pour éviter le pire. Lorsque les tirs cessent, on dénombre quelques dizaines de morts. C’en est fait de sa réputation. La population le perçoit désormais comme un ennemi de la Révolution.

A la fin de l’année, il renonce à commander la garde nationale et échoue à se faire élire maire de Paris. Il ne succédera pas à l’astronome Bailly, démissionnaire. Malgré les récents événements, et leur caractère dramatique, l’Assemblée nationale lui accorde encore sa confiance. Ainsi, lorsque le 20 avril 1792 elle déclare la guerre à la Prusse, le marquis reçoit le commandement de l’armée du Centre. Ses qualités de chef font la différence. Alors que les défections se multiplient dans tous les corps d’armées, La Fayette garde le contrôle de ses troupes. Le 9 juillet, il reçoit le commandement de l’armée du Nord. A Paris, pourtant, certains travaillent à sa perte et les choses se gâtent. La Fayette connaît la fragilité de sa position. N’ayant plus aucun crédit à la Cour, sans le soutien du parti des Girondins, -celui des Feuillants ne pèse pas lourd-, la cause est entendue. Début août, ses ennemis échouent une première fois à le faire mettre en accusation mais les réquisitoires prononcés contre lui à l’Assemblée nationale sont rudes. Le 10 août, la chute de la royauté sonne le glas de la monarchie constitutionnelle à laquelle il tient tant. Le 19, il est déclaré traître à la patrie, non sans avoir auparavant été relevé de son commandement et remplacé par Dumouriez quelques jours plus tôt. Un comble, on l’accuse de « crime de rébellion contre la loi, de conjuration contre la liberté et de trahison envers la nation » ! Accompagné de quelques officiers de son état-major, La Fayette quitte son camp de Sedan et choisit l’exil, s’imaginant déjà gagner le Nouveau Monde. Mauvais calcul, les ennemis de la France ne font preuve d’aucune clémence à son endroit. Arrêté à Rochefort, en pays de Liège, son parcours de révolutionnaire modéré s’arrête là. Subissant des conditions d’incarcération très dures, il tombe malade et c’est du fond d’un sordide cachot, à Magdebourg, qu’il apprend bientôt la mort de Louis XVI, décapité le 21 janvier 1793.

Le temps des geôles étrangères (1792-1797)

Plusieurs tentatives eurent bien lieu pour soutirer au prisonnier des informations sur la France, mais, devant l’obstination du marquis à ne rien divulguer qui puisse faire du tort à la patrie tant aimée, l’ennemi enrage et lui refuse sa liberté. Croupissant dans d’infâmes cachots sombres et humides, le sort de La Fayette émeut l’opinion et vaut au roi de Prusse de sévères critiques. Bien décidés à se débarrasser d’un fardeau aussi encombrant, les Prussiens le transfèrent en Silésie (janvier 1794) puis le confient aux bons soins des Autrichiens qui l’emmènent en Moldavie (mai 1795). Très isolé derrière les murs de sa prison, parfois malade, le héros des Amériques traverse des moments difficiles et sa tentative d’évasion manquée n’arrange guère son quotidien. Il faut toute l’abnégation et l’entêtement de sa femme pour venir à bout de cette mise au secret. Adrienne ayant elle-même recouvré la liberté début 1795, l’admirable épouse se donne pour objectif de rejoindre son mari à Olmütz, dans son austère forteresse. Avec ses deux filles, Anastasie et Virginie, elle partage bientôt la rude captivité de son cher prisonnier, par ailleurs physiquement très marqué par une détention qui s’éternise. Ce n’est qu’en septembre 1797, à la faveur des victoires militaires françaises du général Bonaparte, que la famille bénéficie d’un élargissement expressément demandé par les nouvelles autorités françaises du Directoire.

Libre mais… à l’écart(1797-1799) !

Libre de ses mouvements, c’est une famille soudée mais durement éprouvée qui part rejoindre à Hambourg l’importante colonie américaine qui s’y trouve. Pressés de gagner les Etats-Unis, boudés par les émigrés français, La Fayette et les siens préfèrent s’installer un temps à la campagne, près de Wittmold, dans le Holstein danois, d’abord chez une amie, madame de Tessé, puis dans un domaine dont la famille fait l’acquisition grâce à une aide financière américaine opportune. Là, il goûte au repos tant convoité et retrouve le bonheur d’une vie familiale simple et parfois joyeuse : son fils, Georges-Washington revient d’Amérique pour visiter les siens tandis qu’il connaît le bonheur de marier sa fille aînée, Anastasie. Cependant, peu enclin aux concessions politiques, le marquis continue d’inquiéter les hommes forts du nouveau régime en France. Adrienne a beau s’employer, ses déplacements à Paris ne changent rien à leur situation. En haut lieu, on préfère les tenir éloignés. Bonaparte, Premier Consul, ne consent à accepter le retour de l’exilé sur le sol national qu’à la faveur d’une énième supplique d’Adrienne, fin 1799. Le retour de La Fayette, cependant, n’est envisageable qu’au prix d’une extrême discrétion. La famille prend donc ses quartiers à La Grange-Bléneau, en Seine-et-Marne, une propriété d’Adrienne à la campagne.

En France, à la campagne : les années heureuses près d’Adrienne (1799-1807)

Bien que menant désormais l’existence paisible d’un gentleman farmer retiré sur ses domaines, La Fayette mécontente vite Napoléon par son refus intransigeant d’apporter la moindre caution au régime impérial. Les deux hommes ne s’entendent guère et les frictions se multiplient : l’un refusant la Légion d’honneur qu’on lui propose et critiquant ouvertement les méthodes de gouvernement de l’autre tandis que l’empereur ne fut peut-être pas tout à fait étranger à la progression contrariée du jeune fils de La Fayette dans la carrière militaire. Après des années de tourmente, La Grange-Bléneau constitue néanmoins un havre de paix pour le marquis qui y coule des jours heureux jusqu’au décès d’Adrienne, le 24 décembre 1807. La perte de son épouse bien-aimée laisse La Fayette inconsolable et seul. Tout à ses tâches de gestion du domaine et à la rédaction de ses mémoires, il continue malgré tout à faire figure d’opposant résolu au régime impérial refusant les postes qu’on lui propose.

Une opposition constante (1799-1824)

Sa carrière politique n’est pourtant pas terminée. Très vite déçu par les Bourbons, remontés sur le trône de France après l’abdication de Napoléon, en juin 1815, La Fayette voit ses espoirs de s’établir une monarchie constitutionnelle en France s’effondrer. Le voilà de nouveau cantonné à un rôle d’opposant. Plus que jamais déterminé à défendre la cause de la liberté, il se compromet en participant à quelques complots au sein de la Charbonnerie, une société secrète qui rassemble quelques francs-maçons et quelques députés hostiles au régime. Sa notoriété lui vaut néanmoins de ne pas être inquiété dans l’affaire. Battu aux élections législatives de 1824, il ne lui reste plus qu’à retourner aux Amériques pour y recueillir les hommages d’un peuple qui ne l’a pas oublié et lui ménage une réception triomphale à travers le pays.

Recueillir les lauriers outre-Atlantique (1824-1825) !

Répondant à l’invitation du président James Monroe, qui entend célébrer avec faste le cinquantième anniversaire de la naissance des Etats-Unis, La Fayette et son fils s’embarquent au Havre sur un navire de commerce américain à destination du Nouveau Monde le 13 juillet 1824. Le 16 août, il est à New York où 6 000 personnes se sont rassemblées pour l’accueillir comme il convient. Des heures durant, la foule clame sa joie alors que les navires du port tirent des salves d’artillerie. A l’Hôtel de Ville, les dignitaires le saluent avec un mélange de déférence et d’enthousiasme. Commence alors une véritable tournée triomphale à travers les Etats-Unis : Boston, Portsmouth, Worcester, Hartford avant un retour à New York pour y recevoir de nouveaux honneurs. La Marseillaise retentit entre les murs de l’église Saint-Paul. Quelques jours plus tard, c’est avec émotion qu’il part à Mount Vernon pour se recueillir sur la tombe de son ami Georges Washington.

La tournée se poursuit ensuite à Williamsburg, Richmond puis Monticello, où il rend visite à l’ancien président des Etats-Unis Thomas Jefferson. A Washington, début décembre, le Congrès américain, soucieux de lui témoigner sa reconnaissance, lui attribue 200 000 dollars et presque 10 000 hectares de terres en Floride. De ville en ville, partout, on le fête. En mars 1825, il traverse la Caroline du Nord puis la Géorgie. En avril, il est reçu à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane ; ce sera bientôt Bâton-Rouge et Nashville dans le Tennessee. Au terme d’un séjour inoubliable, il rembarque pour la France le 7 septembre, après un ultime adieu au président John Quincy Adams. Un dernier et prestigieux hommage lui est réservé : il voyagera sur une frégate de soixante canons, l’USS Brandywine, baptisée ainsi en souvenir de la première bataille dans laquelle il avait été engagé jadis. Le 1er octobre 1825, La Fayette est de retour au Havre, ses bagages plein d’émouvants souvenirs : un anneau d’or contenant quelques mèches de cheveux de Georges Washington et un peu de cette terre d’Amérique qu’il demandera qu’on répande le moment venu sur sa propre tombe.

Défendre la liberté… jusqu’au dernier souffle (1825-1834) !

En France, où ses opinions démocratiques et sa passion de la liberté ne le rendent guère populaire auprès de Louis XVIII, puis de Charles X, il renoue bien vite avec le combat contre l’Ancien Régime qu’il sent à nouveau poindre à l’horizon politique du pays. Elu député de Meaux en novembre 1827, La Fayette, qui appartient au camp des libéraux, fait partie de ceux qui dénoncent le virage autoritaire du gouvernement. Pour tous, la question de la véritable nature du régime se pose. Mis au pied du mur, Charles X entend légiférer par ordonnances : c’est l’épreuve de force. En trois jours, les 27, 28 et 29 juillet (la révolution des « Trois Glorieuses »), tout est joué. Charles X abdique (2 août) et prend le chemin de l’exil. Louis-Philippe, duc d’Orléans, est nommé lieutenant-général du royaume. Pour La Fayette, le moment est venu de quitter La Grange-Bléneau et répondre à la demande d’élus qui le pressent de prendre le commandement de la garde nationale. Il a 73 ans. Son sens politique est intact. A Paris, depuis l’Hôtel de Ville, il a tôt fait de retourner l’opinion publique en faveur du duc d’Orléans. Paraissant tous deux au balcon, enveloppés chacun dans un drapeau tricolore, ils parviennent ainsi à se faire acclamer par la foule. La messe est dite. Le 7 août, Louis-Philippe devient roi des Français.
Promu dans la foulée commandant en chef de toutes les gardes nationales du royaume, La Fayette reste néanmoins encombrant pour le pouvoir et ses idées libérales continuent de déranger. Il s’agit de le pousser vers la sortie. A la fin de l’année, on débat à la Chambre des députés sur l’opportunité de confier le commandement des gardes nationales à un seul homme. Ses ennemis avancent que la pratique est contraire à la Charte qui régit le royaume. Directement visé par ce débat, La Fayette préfère démissionner. En qualité de député, il continue cependant de défendre les causes qui lui sont chères. Début 1834, fidèle une fois de plus à ses convictions libérales, il reproche au gouvernement d’avoir laissé écraser la liberté en Pologne, en Italie et en Allemagne. Partisan du droit des peuples à manifester librement, -car les opinions sont libres-, le vieux politique qu’il est désormais trouve encore l’énergie nécessaire pour promouvoir la liberté de réunion à la Chambre. Pourtant, la fin est proche. L’âge et la maladie le rattrapent. Affaibli par des coups de froid à répétition, il rend l’âme le 20 mai 1834, tenant en ses mains un médaillon à l’effigie d’Adrienne… Un mois plus tard, les Etats-Unis décrètent un deuil national de trente jours. En France, rien de tel. Si Louis-Philippe assiste bien à ses funérailles, le 22 mai, les hommages officiels lui sont refusés. Loin de ces dernières bassesses, le marquis repose au cimetière de Picpus, aux côtés d’Adrienne, dans les jardins de l’ancien couvent des chanoinesses de Saint-Augustin, un cimetière qui avait déjà accueilli, pendant la Révolution, les nombreuses victimes de la Terreur.

par Christian Dutot, historien journaliste

Pour approfondir

ARLET (Jacques), La Fayette. Gentilhomme d’honneur, collection « Acteurs de la science », Editions L’Harmattan, 2008.
BELIN (René), La Fayette. La passion de la liberté, Timée-Editions, 2007.
BOIS (Jean-Pierre), La Fayette, Perrin, 2015.
CASTRIES (René de la Croix, duc de), La Fayette, collection « Figures de proue », Tallandier, 1981.
SAINT-BRIS (Gonzague), La Fayette, Folio, 2007.
TAILLEMITE (Etienne), La Fayette, Fayard, 1989.
VILLIERS (Patrick) et CHATEL DE BRANCION (Laurence), La Fayette. Rêver la gloire, éditions Monelle Hayot, 2013.
VINCENT (Bernard), Lafayette, collection « Folio Biographies », Folio, 2014.

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À propos de l’auteur
Christian Dutot

Christian Dutot

Christian Dutot Historien. Diplômé de l’Université Bretagne occidentale de Brest. Après avoir enseigné l’histoire militaire aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, où il contribue à la rédaction d’un « Précis d’histoire militaire » et d’un « Précis de relations internationales (1914-1945) », Christian Dutot rejoint ensuite l’Université Catholique de l’Ouest-Bretagne Sud. Chargé de cours en histoire médiévale et histoire de l’art, il enseigne également des modules optionnels tels que la diplomatique médiévale et la numismatique. Au cours de ses années d’enseignement, Christian Dutot a aussi suivi les travaux de recherche de ses étudiants et est intervenu dans de nombreux séminaires («L’historien et les nouvelles technologies»...), colloques («Vannes et ses soldats»...) et conférences («Le connétable Arthur de Richemont et ses Bretons», «La fabrication de toiles en Bretagne à l’époque moderne»...). Diplômé en «Civilisations et cultures de la Bretagne et des Pays de langues celtiques». Christian Dutot est rédacteur en chef du magazine France Terres d’Histoire.
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