Notre-Dame de Paris
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XIIe siècle. Des conditions favorables !

C’était il y a 850 ans ! La paix qui avait accompagné les progrès du pouvoir royal en Ile-de-France et dans les provinces dépendant de la couronne créait de facto les conditions d’un renouveau économique et artistique. Progressivement, tout au long de ce «beau XIIe siècle», d’immenses cathédrales vinrent remplacer les anciens sanctuaires, témoignant au passage d’une spiritualité chrétienne renouvelée. A Paris, en 1163, le pape Alexandre III vint poser officiellement la première pierre d’une nouvelle église. L’île de la Cité comptait alors bien d’autres édifices religieux. Deux subsistèrent même dans la proximité immédiate de la nouvelle cathédrale gothique jusqu’au XVIIIe siècle (Saint-Jean-le-Rond et Saint-Denis du Pas). Malgré tout, le clergé parisien voulut donner à la cité un nouveau monument qui dépasserait ceux que l’on avait construit jusque-là par son ampleur et sa beauté ! Les motivations des commanditaires se laissent facilement deviner. Il fallait faire face à la vétusté des bâtiments du haut Moyen Âge ainsi qu’à la nécessité d’accueillir, et d’éblouir, une population sans cesse plus nombreuse dans des conditions satisfaisantes. On attendait aussi d’une nouvelle église qu’elle surclasse en tous domaines celles du diocèse, manière d’affirmer sa prééminence… D’autres facteurs jouèrent. Paris était également devenue la capitale des Capétiens dont la puissance ne cessait de croître. Avec le clergé, ils entretenaient des liens toujours plus étroits, puisant dans ses rangs nombre de conseillers. De son palais, également situé sur l’île de la Cité, le roi pouvait se rendre facilement dans la nouvelle église cathédrale. Au fil du temps et des règnes qui se succédèrent, les Capétiens ne cessèrent jamais de fréquenter l’édifice avec constance et favorisèrent son clergé. Ainsi, avec Reims et Saint-Denis, Notre-Dame de Paris devint vite l’un des sanctuaires emblématiques de la monarchie capétienne.

1163-1363. Deux siècles d’un chantier ininterrompu !

L’évêque Maurice de Sully (1160-1196) prit l’initiative, au tournant des années 1160, de lancer un chantier qui transforma profondément le cœur de la cité. Assisté par les chanoines du chapitre de la cathédrale et par la fabrique, institution chargée de la gestion comptable du projet, le prélat mit tout son zèle à accroître les revenus de son église pour favoriser l’avancement des travaux. Prêchant sans relâche afin de susciter la générosité des fidèles et des grands, administrant habilement un diocèse et une cité très peuplée, il n’hésita pas à financer la construction sur fonds propres. Les choses allèrent donc bon train. Dès 1182, on put consacrer le chœur. Sous l’épiscopat de son successeur, Eudes de Sully (1197-1208), on fit voûter le transept (1198) avant d’en terminer avec la nef (vers 1200). Commencée en 1218, la façade est achevée en 1245. Avec ses 130 mètres de longueur, ses 48 mètres de large au transept et ses 35 mètres de hauteur sous voûte, la cathédrale impressionne et dépasse tout ce qui a pu être fait jusqu’alors. On fit venir les pierres des nombreuses et proches carrières. Le bois fut prélevé dans les grandes forêts qui appartenaient au diocèse. Quant aux matériaux, on les acheminait jusqu’à un port provisoire aménagé pour les besoins du chantier avant de les faire transiter par une voie aménagée dans le tissu urbain parisien. Et pour l’occasion, ces transports de marchandises furent exemptés des taxes habituelles…
Un maître d’œuvre fut chargé de traduire dans la pierre les ambitieux projets de Maurice de Sully et de son chapitre. L’ampleur et l’importance de ses missions défient l’imagination. A lui de veiller à ce qu’aucune rupture dans l’approvisionnement en matériaux ne vienne interrompre le chantier. A lui encore de coordonner l’avancement des travaux, de surveiller la taille des pierres et leur assemblage, de faire monter la charpente, etc… A lui, enfin, d’imaginer les échafaudages nécessaires et de concevoir les cintres des voûtes. Aucune tâche n’échappait à sa compétence ce qui faisait de lui bien plus qu’un simple architecte. Pour autant, ce maître d’œuvre demeure pour nous un parfait inconnu car nul ne nous a transmis… son nom ! La tâche n’était pas mince. Le sanctuaire, fonctionnel, devait soutenir la comparaison avec les plus grands édifices de la chrétienté (Saint-Pierre de Rome, l’abbatiale de Saint-Denis et Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Cluny). Le pari fut tenu. Notre-Dame comprend une vaste nef bordée de doubles collatéraux, soit cinq vaisseaux, au final, qui ne sont pas sans rappeler les partis pris romain et clunisien. Les doubles collatéraux se prolongent et s’ouvrent sur un double déambulatoire, sans être interrompus par un transept non saillant. Dans la nef, on opta pour de puissantes colonnes monocylindriques et des murs lisses. Au-dessus des chapiteaux corinthiens, trois minces colonnettes s’élèvent jusqu’aux voûtes sexpartites. Elles reçoivent la retombée des différents arcs en alternance. Certaines soutiennent l’arc formeret et la nervure transversale tandis que les suivantes supportent l’arc-doubleau et, cette fois, la nervure diagonale (l’ogive). Ce système permit de concevoir des tribunes et des fenêtres hautes d’une grande régularité. L’alternance des piles revint néanmoins dans les collatéraux. Par ailleurs, on jugea bien vite l’éclairage insuffisant et, dès le XIIIe siècle, les fenêtres furent agrandies. Extérieurement, la silhouette de la nef est métamorphosée par l’adjonction d’arcs-boutants qui retombent sur des culées massives. Le dispositif, déjà éprouvé précocement ailleurs, visait à contrebuter les fortes poussées qu’engendraient les voûtes sur les murs de l’édifice. On utilisa encore, ici ou là, des chainages d’agrafes et des tirants de fer pour maintenir la fragile maçonnerie gothique en place. L’élévation primitive, avant agrandissement des ouvertures, comprenait quatre niveaux : grandes arcades, tribunes, oculi ornés de grandes croix rappelant la présence d’une relique de la Croix dans la cathédrale et fenêtres hautes.

Avec ses 40 mètres de large et ses tours hautes de 69 mètres, la façade impressionne par sa monumentalité ! Structurée en trois parties, tant horizontalement que verticalement, elle présente aux fidèles ses trois portails, peints à l’origine, que séparent des contreforts à peine saillants. Véritable bible de pierre, les compositions sculptées développent les grandes leçons du dogme chrétien. Le portail central reprend ainsi le thème du Jugement dernier. Sur le trumeau, le Christ bénit et accueille tandis que, sur le tympan, il juge à la fin des temps. Les portails latéraux sont consacrés l’un au Couronnement de la Vierge et l’autre à sainte Anne. Dès 1220, une galerie des rois se déploie à l’étage supérieur. La présence de ces 28 statues illustre, en ce début du XIIIe siècle, la volonté d’exalter le pouvoir des Capétiens. Devant la grande rose, qui occupe le centre de la façade, se détache une statue de la Vierge encadrée par deux anges. Les tours, elles, abritent les cloches dont les sonneries rythmaient au Moyen Âge la vie des fidèles. Avec leur construction, s’achève le gros œuvre de l’église. Le chantier était demeuré presque ininterrompu de 1163 au milieu du XIVe siècle ! Raymond du Temple fut le dernier maître d’œuvre d’une cathédrale que l’on peut estimer achevée vers 1363.

XVIIe siècle. L’alliance du trône et de l’autel renforcée !

Sans doute par fidélité à la tradition, le clergé parisien chercha avant tout à préserver le bâti en l’état. Notre-Dame traversa donc les siècles sans subir de nouvelles transformations. Au XVIIe siècle, les rois voulurent néanmoins montrer leur attachement à Notre-Dame de Paris. Il en résulta de nouveaux travaux (réfection de l’autel de la Vierge confiée à François Mansart en 1628…) et des gestes hautement symboliques. Ainsi, en 1638, Louis XIII, dans l’espoir d’avoir un héritier et de voir ses armées vaincre l’Espagnol, décida-t-il de placer son royaume sous la sainte protection de la Vierge. Dès 1650, Louis XIV renouvela les vœux de son père. Tout au long du règne, la cathédrale fut le théâtre de somptueuses cérémonies destinées à célébrer les victoires du roi ou dire un dernier adieu aux grands du royaume. Entamée à la fin du XVIIe siècle, la restauration du chœur prit fin en 1723. Guillaume Coustou et Antoine Coysevox réalisèrent respectivement les statues de Louis XIII offrant sceptre et couronne et celle de Louis XIV en prière tandis que Nicolas Coustou termina sa Pietà en marbre en 1725. On installa de nouvelles stalles en chêne dans le chœur liturgique. Des médaillons, finement sculptés sur panneaux de bois, vinrent illustrer la vie de la Vierge. Ainsi métamorphosé, le chœur rappelait aux fidèles l’alliance du trône et de l’autel !

XVIIIe siècle. Les affres d’une fin de siècle incertaine !

Peu avant la Révolution, on décida de nouvelles modifications qui vinrent parfois mutiler le vénérable édifice médiéval. Afin de récolter davantage de lumière, du verre blanc fut substitué aux anciennes verrières. Il fallut aussi adapter le portail central de l’église aux nouveaux usages liturgiques. En vue de faciliter le passage du dais lors des processions du Saint-Sacrement, décision fut prise d’enlever le trumeau et la partie centrale des deux linteaux superposés (1771). En 1780, deux peintes italiens se chargèrent de badigeonner en blanc les murs de Notre-Dame. Sept ans plus tard, la crainte de voir tomber des pierres sur les passants amena le chapitre à décider de supprimer tous les éléments extérieurs, tels que gargouilles et crochets, qui faisaient saillie ! Aux abords de la cathédrale, l’église Saint-Jean-le-Rond disparut en 1748 et les travaux visèrent avant tout à dégager le parvis. Durant la Révolution, Notre-Dame eut à plusieurs reprises l’occasion de souffrir d’actes de vandalisme et le fait d’être rebaptisée temple de la Raison (10 novembre 1793) ne l’empêcha pas de connaître les pires heures de son histoire. Les membres du Comité de salut public décidèrent qu’il fallait faire disparaître tous les symboles qui rappelleraient l’Eglise et la monarchie. Les 28 statues de rois qui ornaient la galerie de la façade furent donc précipitées au sol où elles se brisèrent. Les débris encombrèrent les lieux trois années durant ! Des fouilles menées rue de la Chaussée d’Antin, dans les années 1970, permettront d’en retrouver des fragments ! L’entrepreneur Varin, chargé de la sinistre besogne, montra autant de zèle à l’intérieur de la cathédrale : mobilier déplacé ou vendu, fenêtres, autels et tombeaux brisés, cloches et reliquaires en métaux précieux envoyés à la fonte… Début 1794, les murs de Notre-Dame abritent un entrepôt de vin.

1860. Notre-Dame de Paris retrouve son lustre d’antan !

Lorsque, peu après la signature du Concordat, l’édifice fut rendu au culte (avril 1802), il se trouvait dans un état pitoyable. Dès 1810, on mena une première campagne de restauration. Dans les années qui suivirent, les techniques mises en œuvre ne donnèrent pas les résultats escomptés. Passé 1830, les premiers balbutiements de la photographie (daguerréotypes, négatifs sur verre, etc…) attestent des ambitions des restaurateurs et parfois de leurs difficultés à les concrétiser. Sous Louis-Philippe, l’idée que le patrimoine participait à l’identité nationale pénétra les consciences. François Guizot, historien et ministre, contribua beaucoup à cette évolution. De beaux esprits, comme ceux de François-René de Chateaubriand ou de Victor Hugo, renforcèrent également l’intérêt des populations pour les édifices menacés et pour Notre-Dame de Paris en particulier. Finalement, en avril 1844, le Conseil des bâtiments civils confia aux architectes Jean-Baptiste Lassus et Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc le soin de restaurer la cathédrale. Il était temps de remplacer les pierres malades et d’effacer les mutilations héritées d’un passé révolutionnaire ou de restaurations improbables. Le budget initialement prévu tripla ! C’est dire l’ampleur des interventions. Lassus et Viollet-le-Duc sauvèrent littéralement l’édifice au point que Notre-Dame de Paris est, pour une bonne part, une cathédrale… du XIXe siècle !


Sur la façade et le pourtour extérieur, les architectes reconstituèrent les sculptures endommagées du portail central, la galerie des rois, les crochets et les gargouilles. On érigea bientôt une flèche d’après les dessins que donna Viollet-le-Duc seul, après la mort de Lassus. Dans les années 1850, on restaura les fenêtres hautes d’après leur état supposé au XIIe siècle. L’élévation retenue ne fit pas toujours l’unanimité. On reprit encore la grande rose du transept sud pour la consolider et remplacer certains matériaux de médiocre qualité. Enfin, les arcs-boutants du chœur furent entièrement remaniés. Persuadés d’avoir compris les desseins des commanditaires et des maîtres d’œuvres du Moyen Âge, et sûrs de leur savoir-faire, Lassus et Viollet-le-Duc conférèrent sans nul doute à l’édifice une unité que la cathédrale n’avait jamais eu par le passé. Reste qu’au-delà des critiques qui ne manquèrent pas de leur être adressés jusqu’à nos jours, les deux architectes ont écrit une page d’histoire de la cathédrale. Ils ont donné à Notre-Dame des traits particuliers qui en font sa spécificité et son charme. Mais rien n’est figé. L’édifice continue de vivre et… de vieillir. L’ère industrielle à ce titre accélère les dégradations et rend plus que jamais nécessaires les opérations de nettoyage. Par ailleurs, l’évolution de la liturgie conduit elle aussi à des adaptations : un nouvel autel à la croisée du transept (1989), bientôt installé sur un nouveau podium (2004), de nouveaux vitraux, au style parfois abstrait, viennent compléter l’ancienne vitrerie. Pour autant, il semble bien que le temps des grands remaniements soit bel et bien terminé. Au final, on ne s’en plaindra certes pas tant les transformations peuvent parfois constituer un réel traumatisme pour les fidèles et… l’édifice lui-même !

Ecrit par Christian Dutot, historien journaliste

Pour approfondir

Collectif, Merveilleuses cathédrales de France, Editions Princesse, 1987.
COLOMBIER (P. du), Notre-Dame de Paris : mémorial de la France, Editions Plon, 1966.
COLOMBIER (P. du), Les chantiers des cathédrales : ouvriers, architectes, sculpteurs, Editions Picard, 1973.
ERLANDE-BRANDENBURG (A.), Notre-Dame de Paris, Editions de La Martinière, 1997.
GAUVARD (C.) et LAITER (J.), Notre-Dame de Paris : cathédrale médiévale, Editions du Chêne, 2006.
SANDRON (D.) et TALLON (A.), Notre-Dame de Paris. Neuf siècles d’histoire, Editions Parigramme, 2013.
TOMAN (R.), sous la dir., L’art gothique. Architecture. Sculpture. Peinture, Editions Könemann, 1999.
VINGT-TROIS (cardinal A.), JACQUIN (mgr P.), SANDRON (D.), CARTIER (J.-P.) et PELLETIER (G.), sous la dir., Notre-Dame de Paris, collection « La grâce d’une cathédrale », Editions La Nuée Bleue, 2012.

plus récemment :

BACHELET J.-L., Les secrets des Cathédrales, Editions La librairie Vuibert, 2016.

À propos de l’auteur
Christian Dutot

Christian Dutot

Christian Dutot Historien. Diplômé de l’Université Bretagne occidentale de Brest. Après avoir enseigné l’histoire militaire aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, où il contribue à la rédaction d’un « Précis d’histoire militaire » et d’un « Précis de relations internationales (1914-1945) », Christian Dutot rejoint ensuite l’Université Catholique de l’Ouest-Bretagne Sud. Chargé de cours en histoire médiévale et histoire de l’art, il enseigne également des modules optionnels tels que la diplomatique médiévale et la numismatique. Au cours de ses années d’enseignement, Christian Dutot a aussi suivi les travaux de recherche de ses étudiants et est intervenu dans de nombreux séminaires («L’historien et les nouvelles technologies»...), colloques («Vannes et ses soldats»...) et conférences («Le connétable Arthur de Richemont et ses Bretons», «La fabrication de toiles en Bretagne à l’époque moderne»...). Diplômé en «Civilisations et cultures de la Bretagne et des Pays de langues celtiques». Christian Dutot est rédacteur en chef du magazine France Terres d’Histoire.
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